Deux grandes figures tarn-et-garonnaises ont exercé une influence considérable sur le désir d’écrire de Jean-Claude Hébrard et l’affirmation de son style littéraire : Antonin Perbosc et Frédéric Cayrou.

Le premier est une personnalité bien connue de l’occitanisme, ethnographe et poète dont le rôle a été fondamental dans la définition d’une norme orthographique commune (dite « classique ») pour écrire la langue d’oc. Le second est un homme de théâtre dont la notoriété est davantage locale mais dont les pièces, appartenant au registre rural et populaire, ont été très inspirantes pour notre auteur. L’association tenait donc à leur rendre tout particulièrement hommage en proposant ici leurs biographies.

Antonin PERBOSC (Labarthe 1861 – Montauban 1944) :

« Fondator de l’occitanisme / Poèta e reformator de la lenga d’òc / Pedagògue – etnografe – bibliotecari / Majoral del Felibritge (Cigala de la Libertat) », telle est l’inscription qui figurait à l’entrée de la Bibliothèque municipale de Montauban, bâtiment public fermé en 2012 en raison de l’ouverture concomitante d’une médiathèque. C’est Labarthe, en Quercy, qui voit naître le « Père de l’occitan », au cœur de la petite vallée de la Lupte dont le campèstre (la nature) l’imprégnera tout au long de sa production poétique. La condition très modeste de ses parents bordiers inculquera le sens du labeur, de l’honnêteté et du devoir accompli au jeune Antoine, affublé du second prénom de Crépin en raison du saint du jour de sa naissance, en ce 25 octobre 1861. Les deux initiales A.-C. continuent de précéder son nom sur ses cahiers de l’École normale et figurent sur sa signature jusqu’à ses vingt ans, puis ses deux prénoms se contractent en Antonin. En 1963, ses parents quittent la « bòrde » des Camps-Grands rattachée à la paroisse de Nevèges pour une autre située de l’autre côté de la Lupte, plus près de Vazerac où il sera scolarisé.

Ses très bons résultats et le peu de ressources de la famille lui permettront d’obtenir une bourse pour suivre les cours de la pension Gasc, à Lafrançaise, afin de préparer le concours d’entrée à l’École Normale de Montauban qu’il réussira, en 1878. Sa formation se termine en 1881 et, s’il garde vivant le parler de son terroir, il va pouvoir le confronter aux autres dialectes occitans, au cours de ses nominations d’instituteur, notamment à Laguépie, en Rouergue (1887-1893), puis à Comberouger, en Lomagne (1893-1908), enfin à Lavilledieu-du-Temple (1908-1912).  Militant acharné de l’éducation populaire, il inculqua à ses élèves l’intérêt pour les traditions et le patrimoine de leur région, en particulier la langue qu’il fit entrer dans l’école malgré les directives ministérielles qui l’interdisaient, comme toutes les langues non françaises de l’hexagone. Il fit accomplir à ses élèves un très important travail de collecte des divers éléments de la tradition orale (contes, proverbes, devinettes, mimologismes, etc.) en les regroupant sous forme associative en une « société traditionniste ».

Devenu majoral du Félibrige en 1892, Perbosc s’est consacré, avec son ami Prosper Estieu, à la réforme de la graphie occitane en se calquant sur celle des troubadours. C’est pourquoi Perbosc est surnommé le « Père de l’occitan », puisqu’il est à l’origine, non seulement de la nouvelle graphie, mais surtout du concept nouveau d’« Occitanie » qui l’accompagne : « cent parlars que ne fan qu’un », les cent dialectes occitans réunis enfin en une seule langue et l’espoir d’unifier tout le Midi. Il aura fallu beaucoup de patience pour cela, beaucoup de combats et une grande modestie : Perbosc aura attendu la mise au point de la graphie pour commencer à publier son œuvre poétique afin qu’elle soit revêtue d’un habit convenable ; ce sera sa plus belle conquête.

Parallèlement, il a incité à la création d’écoles comme, avec Castela, l’« Escolo Carsinolo » (1895), avec Estieu, l’« Escòla Occitana » (1919), et il a collaboré à de nombreux journaux et revues. Lauré par l’Académie des Jeux-Floraux en 1906, il va devenir membre titulaire de l’Académie de Montauban en 1918 et se passionner pour divers domaines. Les langues de France à l’école (1926) soulignent sa réflexion sur l’enseignement bilingue occitan-français. Avec l’archiviste Séverin Canal, il publiera des études sur des textes occitans anciens (chartes de coutumes, leudes, etc.) 

Sur le plan littéraire, son premier essai date de 1890 : il s’agit du « Brinde portat al Carcin e a sos felibres » à l’occasion des fêtes cigalières données en l’honneur d’Ingres, par la Société Ingres (les félibres de Paris). Mais il faudra attendre 1903 pour voir la grande œuvre de poésie lyrique, Lo Gòt occitan. Ce n’est pas seulement un hymne à la vigne et au vin, c’est une louange adressée aux travailleurs de la terre, sur tous les terroirs de l’Occitanie et jusqu’à la Catalogne (les Pyrénées devant être considérées, selon Perbosc, comme l’épine dorsale d’une grande nation, au vu des deux langues bessonnes, l’occitan et le catalan, qui se ressemblent comme deux grains de raisin). Il y aura une seconde édition du Gòt occitan qui paraîtra en 1932 et obtiendra le Prix des Vignes de France.

Celui qui n’a eu de cesse de vouloir rester libre (« J’ai toujours souhaité n’être le chef ni le soldat de personne ») recevra la Légion d’honneur en 1925. Décédé en 1944, son souvenir demeure bien présent puisque son nom a été donné à des rues (Montauban, Toulouse, Vazerac), à des collèges (Auterive, Lafrançaise) et, comme indiqué en introduction, à l’ancienne bibliothèque municipale de Montauban (Perbosc a été durant vingt ans conservateur de l’ancienne bibliothèque de cette ville). A Labarthe, sa mémoire est également vive puisqu’en 1961, pour le centenaire de sa naissance, une plaque a été apposée sur le fronton de la Mairie.

Cançon

Vòli dire una cançon
qu’en mon còr fa florison.
Per mon mèstre,
Dusc’ a mon darrièr moment,
vòli prendre solament,
lo Campèstre

Lo Libre del Campèstre

Chanson

Je veux dire la chançon
Qui naît en mon cœur.
Pour seul maître,
jusqu’à mon dernier instant,
je ne veux prendre
que la Nature


Le Livre de la Nature

Norbert SABATIE

Toujours à propos de cet auteur, l’association signale aussi l’excellent numéro spécial que lui a consacré en 2005 la revue Les Poètes à l’Ecole édité par la Compagnie des écrivains du Tarn-et-Garonne accessible ici.

Frédéric CAYROU (Castelsarrasin, 1879 – Montpezat-de-Quercy, 1958)

Frédéric Cayrou

Après une enfance passée près de la Garonne, le jeune Frédéric va fréquenter le collège de Castelsarrasin, avant de partir pour Toulouse où il obtient son diplôme de vétérinaire, profession qu’il exercera avec zèle en Tarn-et-Garonne. Mais c’est le théâtre qui le rendra populaire, car l’homme a plusieurs cordes à son arc. Ne devient-il pas également sénateur ?

On connaît de lui au moins deux facettes, l’officielle du sénateur et la familière de l’amuseur public ; Frédéric Cayrou sait régaler son auditoire de diverses manières. Ses conférences radiophoniques d’après-guerre, faites à « Toulouse-Pyrénées » peuvent traiter aussi bien du “cotèl” (couteau) que de “l’ase” (l’âne) ou de la “lenga d’òc“, bien évidemment. Quant à son intervention au Sénat du 7 mars 1950, lors de la discussion de la loi sur l’enseignement des langues et dialectes locaux (loi Deixonne), c’est une belle plaidoirie d’érudit, dictée par l’amour de sa langue maternelle, débutant ainsi : « … je suis content de me trouver ici, parce que je suis appelé à défendre ce que j’aime […], une langue qui m’est familière depuis ma plus tendre enfance, une langue pour laquelle j’ai combattu  par la plume, par la parole, par les conférences, par le théâtre, pour laquelle, en un mot j’ai combattu de toutes façons parce que c’est une langue vivante et que je ne veux pas qu’on la tue. »

Mais c’est l’homme de théâtre qui ravit le plus, lorsqu’il joue l’un ou l’autre des personnages qu’il a créés. Ses pièces deviennent vite populaires avec la saveur des quiproquos basés basés sur des jeux de mots fondés sur le bilinguisme occitan-français, tel le fameux “Anatz-i !” (“Allez-y !”) et interprété phonétiquement “En Asie ?”, dans « Plèga-sardas au permis de conduire » (1936). Le bon sens paysan raille l’administration : celui qui sait prendre le temps nargue celui qui a le temps compté, comme l’exprime la réplique “Las causas se pòdon pas dire sens parlar…” (“On ne peut pas dire les choses sans parler…”).

Ces comédies de la vie ordinaire sont transposées sur scène et appréciées du public qui les vit au quotidien : c’est le succès pour chaque représentation donnée par la petite troupe familiale de Cayrou qui devient vite populaire. Il l’est aussi par ses pitreries : ainsi peut-il jouer du violon à la manière dont on scie une bûche, en calant l’archet à l’horizontale entre ses genoux ! Par ailleurs, ne compose-t-il pas des chansons dont un livret bilingue sera publié : « Cants de l’arada e del vilatge » (« Chants des guérets et du village ») ? Enfin n’est-il pas l’auteur de ce roman à la fois fantastique et fantaisiste, reposant sur un fait historique local : « L’òme qu’èra nascut a 80 ans » (« L’homme qui était né à 80 ans ») ?

Par sa profession, Cayrou est en contact direct avec le monde paysan qui constitue sa source d’inspiration, autant par la diversité des sujets traités que par la richesse des expressions nourrissant sa production écrite. Les titres, échelonnés entre les deux guerres, suffisent à évoquer l’environnement : Mon gavelat (1922), Dins çò nòstre (1928), A pòt de saca (1932), Lo bestiari de la bòrda (1941), Als quatre vents carcinòls (1943). Le moindre fait divers peut devenir prétexte à poème, aussi bien le cycliste Bastit arrêtant un âne déchaîné que l’aviateur Costes traversant l’Atlantique, ou une autre commémoration particulière telle que l’ « Ode au Tarn-et-Garonne ».

L’appartenance occitane  transparaît à tout moment, notamment dans A pòt de saca  dédié à son père : « A la memòria de mon Paire / Regent brave entremièg los pus braves d’antan, / Aquestas tròbas qu’ai culhidas sul terraire / Qu’aimava tant. » (A la mémoire de mon Père / Instituteur vaillant parmi les plus vaillants d’antan. / Ces rimes que j’ai cueillies sur le terroir / Qu’il aimait tant. ».

Il s’agit du terroir natal de Saint-Martin de Belcassé, où Frédéric Cayrou est né. Durant sa jeunesse, il a pu fréquenter le cirque Pinder qui installait ses quartiers d’hiver dans la localité voisine de Lavilledieu-du-Temple, ce qui lui a permis d’acquérir une dextérité certaine dans l’accomplissement d’exercices acrobatiques. Voilà qui annonce  son attirance pour le passage du Wild West Show dans le Midi, en 1905. Entré au service de Buffalo Bill en qualité de vétérinaire, il vit dans l’intimité de celui qui a, trouve-t-il, une étonnante ressemblance avec Frédéric Mistral. Il devait le retrouver en Oklahoma, dix ans plus tard. C’est l’histoire semi-biographique du roman Lo voiatge del Catèt de Maca-turras en America, accumulant des épisodes humoristiques et opposant le bon sens paysan au génie américain. Il paraît en 1930, bien après que le vétérinaire Cayrou ait été envoyé outre-Atlantique, dès octobre 1914, par le gouvernement français. Voyageant incognito, son rôle est d’acheter des chevaux pour la remonte de la cavalerie française. Son carnet de route, tenu au jour le jour, relate sa découverte du Nouveau-Monde, depuis le départ de Paris jusqu’à l’arrivée à Oklahoma-City. Hélas, seul le premier mois de séjour est consigné, mais les propos fort sensés, écrits à la hâte, dans un style vivant, passent en revue le spectacle de la nature ou de la rue, observant jusqu’aux détails les plus menus.

C’est aussi en Amérique que Frédéric Cayrou compose Mon gavelat (Ma gerbe de blé), premier recueil de poésies qu’il dédie à sa mère, et dans lequel, en ghuise d’introduction, il déclare sa passion pour sa “bonne vieille langue d’oc” : « De totes los parlars, de totes los lengatges, / Lo sol que deu gardar totjorn nòstras amors / Es lo qu’avèm popat quand èrem de mainatges. » (De tous les parlers, de tous les langages, / Le seul à devoir toujours garder nos amours / C’est celui qu’enfants nous avions tété.) [Oklahoma-City, décembre 1914]

Revenu au pays, il sait se faire admettre de tous, et sa production littéraire le hisse parmi les plus grands. Ses poésies sont couronnées par l’Académie des Jeux-Floraux de Toulouse dont il devient “mèstre” après l’avoir été en Gai Saber. En Tarn-et-Garonne, l’Escola Carsinolo l’élit comme chef de file sous le terme de “capiscol“. Aujourd’hui, ses pièces continuent d’être jouées avec succès et ses poésies apprises par les jeunes des sections bilingues ; c’est bien le signe d’une popularité vraie, incarnée par une simplicité et une bonne humeur qui vont de pair avec une qualité d’écriture révélant toute la réalité des faits vécus au quotidien et questionnant déjà l’avenir.

Oda a nòstre Despartament

« Merabilhós terraire, ò mon Tarn e Garona Qu’en passant, nos farguèt un jorn, Napoleon
O mescladis urós de la plana gascona
E del puèg carcinòl, siás lo còr del Miègjorn. »
[…]
O monuments de teule ont la sason cramaira Arrapa son mantèl reial d’òr e de fòc.
A ! coma sètz, ambe nòstra lenga tindaira,
Lo rebat vertadièr de nòstra raça d’Oc !
[…]
O mon polit païs, ò mon Tarn e Garona,
D’autres filhs renommats an tan bèla corona Que ne pòdi pas far mencion
Mès per lor far prodèl dins lor òbra sagrada Regarem de selhons novels sus ton arada,,
O tèrra de predileccion !

Ode à notre département

Merveilleux terroir, ô mon Tarn-et-Garonne
Qu’en passant, nous forgea, un jour, Napoléon
O mélange heureux de la plaine gasconne
Et du coteau quercynois, tu es le cœur du Midi
[…]
O monuments de brique où la saison brûlante
Accroche son manteau royal d’or et de feu.
Ah ! comme vous êtes, avec notre langue sonore,
Le vrai reflet de notre race d’Oc !
[…]
O mon joli pays, ô mon Tarn-et-Garonne,
D’autres fils renommés ont si belle couronne
Que je ne puis les mentionner
Mais pour les aider dans leur œuvre sacrée,
Nous tracerons des sillons nouveaux sur ton araire,
O terre de prédilection !

Norbert SABATIE

Toujours à propos de cet auteur, l’association signale aussi l’excellent numéro spécial que lui a consacré en 2008 la revue Les Poètes à l’Ecole édité par la Compagnie des écrivains du Tarn-et-Garonne accessible ici.

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